Mobilisation politique

Il n’y a pas de liberté individuelle sans égalité sociale.

Se mobiliser pour quoi ?

D’après Dominique Bourg 1, les politiques climat sont vouées à l’échec étant donné qu’elles sont négociées par des États qui ne se donnent plus aucun pouvoir. Le néo-libéralisme a contribué à appauvrir les États dans leur souveraineté, à les transformer en simples agents économiques, tels que les entreprises ou les ménages, qui se contentent d’échanger des ressources, des biens et des services. Pour un État, il est également très difficile d’attaquer une multinationales, alors que l’inverse se répète de plus en plus. Une entreprise peut attaquer un État en justice pour démonter une loi qui a été acceptée par ses citoyens. Cela démontre que les entreprises multinationales profitent d’une souveraineté informelle qui leur permet d’imposer leurs intérêts face à la souveraineté formel de l’État. Toute politique climatique ambitieuse qui limiterait les flux de ressources est donc vouée à l’échec.

Les conséquences de l’exploitation des ressources des cinquante dernières années vont avoir des effets dans l’avenir et nous mène à au moins 2° d’augmentation (rétroactions positives). Le palier des 2° est important car au delà notre écosystème global bascule sur des schémas inconnus des êtres vivants depuis plusieurs millions d’années. Selon le dernier rapport du GIEC, il faudrait diminuer de 45 à 58% les émissions mondiales de gaz à effets de serre entre 2020 et 2030 pour limiter l’augmentation des températures à 2°. Selon Bourg, on peut y arriver en « simplement » modifier notre mode de vie et diminuer notre consommation de biens et services. Mais la conséquence économique d’une baisse de la consommation est un effondrement de l’économie actuelle. Beaucoup d’agents économiques devront se renouveler rapidement s’ils veulent se maintenir. Le fait que les plus gros émetteurs de CO2 sont également ceux avec la plus grande souveraineté informelle est un des principaux freins au changement, si ce n’est pas le plus gros. Tant qu’une minorité pourra imposer ses intérêts propres au plus grand nombre, très peu de choses pourront changer.

Pourquoi c’est difficile de s’engager ?

Le constat qui va avec le changement climatique est que l’impact de notre société sur son environnement n’est pas soutenable. La raison devrait donc nous pousser simplement à changer ce système. Toutefois, rien ne bouge. Pourquoi ?

Le libéralisme a créé une situation particulière d’abondance apparente (en occident en tout cas). Nos besoins sont pour la plupart satisfaits et nous pouvons « librement » déterminer notre mode de vie. Le risque climatique, qui se confirme de plus en plus, réside dans la baisse drastique de ces bienfaits de la société. Mais les effets ne se font pour le moment pas sentir.

Il y a une constante dans la plupart des scénarios cohérents : choisir de changer le système signifie invariablement de baisser notre niveau de consommation. Nous devons donc choisir de faire une croix sur notre confort matériel, même si nous le savons limité dans le temps, plutôt que de profiter tant qu’on peut de toutes les commodités de l’exploitation environnementale.

 

Se mobiliser comment ?

Se retirer d’une société dans laquelle on ne se reconnaît pas ne contribue pas à son changement. Bien au contraire : si tous les anticapitalistes se retirent, la société ne sera composée QUE de pro-capitalistes.
Elle n’a pas besoin d’individus particuliers pour continuer à fonctionner. Par contre, nos actions individuelles contribuent à son changement ou son renforcement.

La grande majorité de la population est apathique : elle se laisse porter par le mouvement social majoritaire. Selon certains, cette apathie a été cultivée progressivement par nos structures sociales. Pour d’autres, elle est lié à notre nature.

Face à une problématique, il y a une différence entre :
– expression politique : porter/signer des pétitions/initiatives, interpeller des politiques, manifester, élire
– action politique : agir concrètement pour régler l’ensemble ou une partie de la problématique
D’un côté, on demande à la structure de pouvoir de régler la problématique, de l’autre, on prend le pouvoir de régler la problématique.

On nous envoie des chiffres à la figure (en 30ans, 80% des insectes volants ont disparus en Europe), mais cela n’a aucun effet réel. Notre rapport au chiffre biaise notre réaction émotionnelle à l’urgence. L’usage des mots est également source de biais cognitif : pourquoi parler d’extinction plutôt que de destruction ?

Notre culture occidental est fondée sur, au moins, deux principes importants :
1. notre liberté est liée au système capitaliste (nommé « démocratique » dans l’inconscient collectif)
2. la fin de la société thérmo-industrielle ne peut déboucher que sur une destruction sociale, au mieux un régime fasciste, au pire une non-société apocalyptique.

Dans les mouvements sociaux, c’est toujours une minorité qui est agissantes. La question est de savoir si la majorité soutient ses actions ou les rejettent.

En 1972 était publié le « Rapport Meadows ». Il concluait que la croissance allait nous envoyé dans le mur, alors que l’économie mondiale utilisait déjà 75 % des capacités de régénération de la biosphère. Les mouvements écolo, décroissants, éthique sont nés à cette époque et ont depuis milité pour un monde plus résilient et plus juste. Des milliers de personnes, scientifiques et non scientifiques, se sont investis pour faire entendre les arguments de la raison. Depuis les années 70, presque 5 décennies se sont écoulés. Quel est le bilan ? Le réchauffement climatique s’est accentué et les limites de la biosphère sont franchies au milieu de l’année. La société de consommation, axée sur le profit à court terme, s’est renforcée, élevant certaines sociétés multinationales au rang de puissance mondiale, équivalent des pays. D’un autre côté, de plus en plus en plus de personne sont sensibles aux questions de l’environnement et de l’urgence climatique. Mais les résultats sont minimes, car les dirigeants, économiques et politiques, font la sourde oreille. La chaîne « Partager c’est sympa » propose une analyse de cet échec monumentale 2 : les mouvements militants n’arrivent pas à surprendre. Nos modes d’action (manifestation, blocage, pétition, slogan, boycott, communiqué, lettre ouverte …) forme un répertoire que les dirigeants savent ignorer, voir même détourner à leur avantage. On n’arrive pas à créer et gagner le rapport de force avec ces adversaires. Oui, il y a eu des victoires locales, mais ces victoires demandent beaucoup d’énergie et beaucoup de temps. Pendant que l’on se bat contre un projet industriel et qu’il est bloqué, des dizaines d’autres tout autant problématiques se développent ailleurs. Il y a donc une série de mécanismes que les militants adoptent invariablement de manière automatique, reproduisant les mêmes modèles d’action, et qui cadre l’imaginaire et la créativité.
En résumé, comme disait Einstein, « La folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Il faut donc se forcer à réfléchir différemment, si on veut gagner la bataille du climat. C’est ce que propose le collectif « Il est encore temps » avec son « Petit guide pour plus d’autonomie, de créativité, d’efficacité, de radicalité et de solidarité dans la lutte ». Le message principal est qu’il faut voir plus loin : comment rendre nos actions plus ambitieuses, moins « gentilles ».

L’augmentation de la température sur terre de ce dernier siècle est un changement brutal : si, durant le passage entre ère géologique, les température augmentaient ou baissaient de 1° sur mille ans, depuis les années 80, la température moyenne sur Terre à augmentée de 0.9°. Quasiment 1° en moins de quarante ans, au lieu de mille ans. Les derniers modèles en date constatent que le passage à 2° d’ici 2040 est déjà joué, principalement à cause des rétroactions positives et quelques soient les actions humaines futures. Cela pose alors une accélération de 1° en 20 ans cette fois 3.

« Je redoute que ce premier cercle [de militant], intellectuel, passe trop de temps à rédiger des textes sur l’éducation ou le théâtre, ou, pis, à faire des ateliers constituants, à se disputer sur le nucléaire, à claquer la porte pour un smic à 1 500 euros au lieu de 1 800, plutôt que d’aller convaincre, dans les rues […]. La pédagogie, c’est le réflexe d’organisations habituées aux « candidatures de témoignage », qui visent à « faire avancer des idées », pas à gagner du pouvoir. Il nous fallait plutôt repérer, parmi nos thèmes, ceux qui font d’ores et déjà écho chez les électeurs. Et sans nécessité de pédagogie. » « À défaut d’un programme, je défendais une ligne binaire : nous contre eux, nous, les petits, les travailleurs, le bas, contre eux, les gros, les actionnaires, le haut. C’est ce canevas que j’ai répété mille fois en faisant du porte-à-porte : « Bonjour. Vous savez qu’on vit dans un monde où 1 % de l’humanité détient plus de richesses que les 99 % restants ? [La dame approuve, entre dans le jeu : je marque un point.] Peut-être que vous appartenez aux 1 % les plus riches et que pour vous tout va très bien… [La dame rigole : deux points.] Sinon, il y a un moyen de se défendre, ce n’est pas le seul, ce n’est pas le meilleur, mais ça reste la politique, le bulletin de vote, c’est quand même avec ça qu’on a obtenu les congés payés, la Sécurité sociale, le congé maternité… Parce que les riches, eux, ils n’oublient pas d’aller voter et de défendre leurs intérêts ! » Et là, souvent, la dame concluait : « C’est bien vrai, ça. » [Trois points.] » 4

Accompagner le changement

En terme de changement, il y a ceux qui sont progressifs, face auxquels la contrainte d’adaptation est faible, et ceux qui sont brutaux, face auxquels il faut s’adapter rapidement, voir violemment. Le contexte climatique bascule actuellement vers la brutalité.

  1. Conférence au Club 44
  2. Partager c’est sympa, On change le game, 19 mars 2019
  3. Imaginaires des futurs possibles : Etats des lieux avec Dominique Bourg, https://www.youtube.com/watch?v=m3EbbGrXuqs
  4. François Ruffin, https://www.monde-diplomatique.fr/2018/06/RUFFIN/58763